3.1 De la Norvège à la Côte d’Azur
La première mention de l’introduction en Europe du palmier des Canaries (Phoenix canariensis) remonte à 200 ans. Au début des années 1860, un jardinier européen nommé Hermann WILDPRET crée un jardin d’acclimatation à Orotava (Ténérife). Il expédie alors un important lot de graines en direction des principales pépinières européennes. C’est toutefois sur la Côte d’Azur que ce palmier va être acclimaté, et largement diffusé jusqu’aux USA, comme arbre d’ornement pour les stations touristiques naissantes.
Phoenix canariensis et la Côte d’Azur
Le premier Phoenix canariensis aurait été planté sur la Côte d’Azur en 1864, dans le Jardin Vigier à Nice, en provenance de la pépinière de J. LINDEN à Ghent en France. Il est ensuite mentionné en 1869, dans une autre pépinière de palmiers de réputation internationale, créée à Hyères par Charles Goettlib HUBER en 1856. En 1871, l’horticulteur allemand SCHENKEL fait parvenir à CHABAUD des graines de Phoenix canariensis qu’il sème dans son jardin de Saint Mandrier, à Toulon. 11 ans plus tard, Phoenix canariensis est décrit par CHABAUD en tant qu’espèce distincte, laquelle portera désormais son nom.
*Source. RIVERA D., OBON C., ALCARAZ F., EGEA T., CARREÑO E., LAGUNA E., SANTOS A., WILDPRET W. 2013. A review of the nomenclature and typification of the Canary Islands endemic palm, Phoenix canariensis (Arecaceae). In : TAXON 62 (6) • December 2013 : 1275–1282. Link: http ://wwwx.inia.es/
Après 1870, les pépiniéristes hyérois amorçaient une spécialisation : le palmier des Canaries. A la fin du XIXème siècle, une superficie de quarante hectares de jeunes palmiers de la dite espèce entourait la ville d’Hyères favorisée par la présence d’alluvions, d’un été pas trop sec, et de nombreux adrets. En hiver, des paillassons protégeaient les jeunes palmiers contre le froid. En 1915, vingt-deux «palmiéristes» expédiaient un million deux cent cinquante mille palmiers comme arbres de jardin à l’intérieur de la région et comme plantes d’appartements au nord des Alpes. Les deux guerres mondiales, les crises économiques, et les coups de froid, notamment celui de 1938, ont atteint ce commerce spécialisé.
*Source. GADE 1987. Tropicalisation de la végétation ornementale de la Côte d’Azur. In: Méditerranée, Troisième série, Tome 62, 4-1987. Quelques contributions à l’étude des régions touristiques. pp. 19-25. Link: http://www.persee.fr/
Phoenix canariensis et la Riviera italienne (Jardin Winter)
Illustration : le jardin Winter de Bordighera au tournant du XX° siècle (gravure)
Installé à Hyères, le pépiniériste Charles HUBER embauche un jeune jardinier Ludwig Winter. Celui-ci va ensuite travailler à la création du Jardin Hanbury de la Mortola, à la frontière franco-italienne. Il crée plus tard un jardin de palmiers et une pépinière à vocation commerciale européenne, le Palm Garten, à l’embouchure du vallon du Sasso à Bordighera. Un réseau s’organise dès lors entre les frères Huber à Hyères, les frères Hanbury à la Mortola et Charles Naudin devenu directeur de la Villa Thuret à Antibes en 1878. Dès la fin du XIXème siècle, les palmiers de Bordighera vont pouvoir alimenter les plantations des grandes villes de la côte d’Azur.
*Source. DUCATILLION C. 2013. Peut-on se passer des palmiers sur la Cote d’Azur (historique, importance sociétale, symbolique et économique) ? In: AFPP – colloque méditerranéen sur les ravageurs des palmiers Nice – 16, 17 et 18 janvier 2013. Link: http ://www.afpp.net/
Le jardin historique de Ludwig Winter a survécu jusqu’à nos jours. Il est désormais menacé de disparition, suite à l’incurie des autorités locales en charge de sa conservation, ainsi qu’à son infestation récente par le charançon rouge du palmier (Red Palm Weevil). L’amateurisme actuel dans la gestion de l’infestation, est en effet en train de faire de ce jardin un laboratoire à ciel ouvert, où le ravageur a commencé à diversifier ses cibles en direction d’autres espèces de palmiers. Il existe par ailleurs d’importantes pépinières historiques ensauvagées de P.canariensis dans les vallons de Bordighera, dont l’histoire est à écrire. Elles sont à présent elles aussi en cours de disparition.
*Source. CASTELLANA R. 2014. Le jardin Winter de Bordighera menacé de disparition. In: Le Sauvage, Culture et écologie 12 juillet 2014. Link: http://www.lesauvage.org/
Iconographie historique : le jardin Winter de Bordighera au travers des peintures et des cartes postales. Link: http ://www.bordighera.net
3.2 De la Riviera aux USA
Illustration : carte contemporaine de la distribution de Phoenix canariensis aux Etats-Unis : GILMAN EF., WATSON DG. 1994. Phoenix canariensis. Canary Island Date Palm. In : Fact Sheet ST-439. October 1994. Link: http ://hort.ifas.ufl.edu/
Les régions méridionales des Etats-Unis constituent un pôle majeur en matière de distribution du palmier des Canaries, en relation avec la Riviera comme modèle paysager mais aussi comme fournisseur originel. Sur la Riviera italienne, l’introduction de la palmiculture ornementale, à la fin du XIX° siècle, allait rapidement conduire au déclin de la culture du palmier dattier. C’est à présent P. canariensis qui est en train de disparaître à son tour dans ces régions.
Les pépinières américaines
La première pépinière à offrir P. canariensis pour la vente en Californie a été la pépinière de Miller & Sievers à San Francisco dans leur catalogue de 1874. En Floride, l’introduction de P. canariensis est due au pépiniériste Henry Nehrling (1853-1929) qui a obtenu, en 1886, des graines de la Côte d’Azur, et plus tard directement des îles Canaries. Au tournant du XX° siècle, la présence de P. canariensis est bien documentée aux Etats-Unis, au travers des cartes postales et photographies des paysages américains. En 1903, la palme est devenue tellement omniprésente que Ernest Braunton a pu écrire : ‘A Los Angeles et environ, ils peuvent être comptés par dizaines de milliers’. En Floride, la demande de P. canariensis surgit à un moment où la Floride était devenue une destination de vacances d’hiver pour les riches industriels de l’époque (1878-1889). En Californie, elle fait suite au boom économique entraîné par la ruée vers l’or.
*Source. ZONA S. 2008. The horticultural history of the Canary Island Date Palm (Phoenix canariensis). In: Garden History 36 : 301 -308. Link: http ://www.learnedgardener.com/
Le Parc Magauda et les pépinières historiques italiennes
Ill. carte postale (collection privée)
Le Parc Magauda (situé dans le quartier de Borghetto à l’ouest de la ville italienne de Bordighera), témoigne de la reconversion de la palmiculture rituelle en direction de la culture de palmiers des Canaries destinées à l’ornement. Vraisemblablement planté à la fin du XIX° siècle, il abritait aussi une ferme, dont les étables ont été reconverties partiellement en chambres d’hôtes. L’entrepreneur français qui a fondé le parc Magauda s’appelait Henri Charpentier. Il exportait ses palmiers canariensis jusqu’en Amérique. On manque toutefois de documents sur ce personnage, et sur le rôle qu’il a pu jouer dans le développement des pépinières américaines. La voie d’accès au domaine, plantée de palmiers, est encore dénommée ‘Rue Canariensis’. Ce jardin historique est en train de disparaitre, suite à son infestation par le charançon rouge du palmier, en l’absence à ce jour de mesures préventives ou curatives. Il existait d’autres pépinières historiques de Phoenix canariensis dans les vallons de Bordighera. Leur histoire est à écrire. Il doit s’agir d’au moins 2000 palmiers, dont les concentrations les plus importantes ont été récemment laissées à l’abandon et se sont ensauvagées. Il n’existe par ailleurs aucune protection de ces sites, lesquels ne sont même pas recensés du fait qu’il s’agit de terrains agricoles, que leur propriétaire peut donc à tout moment éradiquer. Ces pépinières abandonnées composent encore, de nos jours, un paysage exotisant unique en Europe, à l’exception des îles grecques et de leurs palmeraies spontanées de Phoenix theophrasti.Elles sont en cours de disparition, suite à leur récente infestation par le charançon rouge (Rhynchophorus ferrugineus).
Le Jardin Brin et le Projet Phoenix
Situé à Bordighera dans le hameau de Sasso, dans la partie haute du vallon, le Jardin Brin abrite environ 150 palmiers es Canaries, originellement destinés à la production de feuilles à usage ornemental. La reconversion de ce jardin a fait l’objet d’une intervention paysagère extrêmement intéressante. Les palmiers ont été conservés, et intégrés dans une strate herbacée de type pelouse, ornementée de diverses œuvres d’art totalement intégrées. Suite à son infestation par le charançon rouge du palmier en 2015, il a reçu l’appui du Projet Phoenix en matière de gestion de l’infestation.
3.3 Bibliographie en ligne
Illustration: les premières pépinières de palmiers destinés à l’exportation voient le jour sur la Riviera italienne dés le 19° siècle.
Les plantes introduites au fil des siècles font l’objet de nos recherches en matière d’ethnobotanique et d’histoire des paysages. Il s’agit essentiellement, entre l’Antiquité et la Renaissance, des palmes, des agrumes, des plantes à parfums et des cultures florales. A l’époque moderne, avec l’essor de la villégiature, une multitude d’autres espèces sont introduites dans le cadre des jardins d’agrément. Les recherches présentées ici traitent des usages de ces plantes et des pratiques culturales qui accompagnent leur introduction, ainsi que des dimensions économiques, sociales et culturelles de l’acclimatation. Plus d’informations sur l’histoire de l’acclimatation sur la Côte d’Azur à cette adresse: http://www.listephoenix.com/
Voir aussi: PARGUEL N. 2009. Jardins d’acclimatation sur la Riviera. In: Nice historique, n°1-2009. Link: http ://www.snhf.org/