Aegean Sea

PHOENIX THEOPHRASTII. CARACTERISATION GENETIQUE ET CULTURALE DES ANTIQUES PALMERAIES DE LA MER EGEE
 
Version pdf: CASTELLANA 2012
 
OBJET ET METHODES
La Grèce présente des paysages d’une grande authenticité, car préservés des pressions anthropiques qui ont impacté le reste du monde méditerranéen. La géographie de la Mer Egée explique cette exception écologique par l’omniprésence de l’insularité. Le bassin égéen est en effet un univers chaotique et morcelé, témoignage de l’activité volcanique aux origines de sa création. Parmi les paysages les plus précieux de ce vaste archipel, les botanistes ont découvert, depuis une cinquantaine d’années, de somptueuses palmeraies spontanées. Ces palmeraies sont autochtones, antérieures donc à la civilisation antique, qui les a intégrées dans sa mythologie. Il s’agit là d’un héritage d’une forte valeur, à la fois écologique et culturelle.
 
ENQUETES 2008/2009
Deux campagnes d’investigation ont été conduites en Grèce et en Turquie, dans le cadre de collaborations pluridisciplinaires, en 2008 et 2009. Elles visaient :
* au prélèvement d’échantillons de feuilles de Phoenix theophrasti en vue de leur génotypage,
* au prélèvement de graines pour une caractérisation morphométrique,
* à une étude comparative du biotope de Phoenix theophrasti dans les sites recensés en Mer Egée.
Une investigation a aussi été menée afin de recenser les mentions de palmiers dans les sources antiques, littéraires et iconographiques.

DISTRIBUTION

L’aire de distribution de Phoenix theophrasti se limite à la sous-région méditerranéenne de la Mer Egée.  Les principales populations recensées se trouvent sur l’île de Crète et dans le Sud Ouest de la Turquie. 9 sites ont été recensés en Crète, dans les régions de CHANIA (Chryssoskalitisa et Drapano Georgoupolis), de RETHIMNO (Prevelis et Ormou Plakia), de IRAKLEION (Gkazi-Almiros, Stalida, Aghios Nikitas-Tsoutsouras et Martsalos), et de LASITHIOU (Vai, Erimoupoli et Moni Toplou). L'aire de distribution de Phoenix theophrasti en Turquie se situe sur la côte sud-est du pays. Elle va de BODRUM à ANTALYA. Les 3 principaux sites recensés sont ceux de Golkou, Datça et Kumluca. L'existence d’autres populations significatives de palmiers est par ailleurs suggérée par la toponymie. Il s’agit des dénominations assez fréquentes de Feniki ou Humra que l’on retrouve dans le bassin égéen. Seuls quelques individus isolés se rencontrent de nos jours dans les îles des Cyclades, notamment AMORGOS et ANAFI, ainsi que dans le PELOPONESE. 

Des habitats très diversifiés
Nos observations en Grèce et en Turquie, montrent que Phoenix theophrasti se développe dans des habitats extrêmement diversifiés. On le trouve ainsi dans des lagunes, plages, marécages, ravins ou falaises. Il en va de même de la forme de ses habitats. Il peut s’agir de couvert forestier, bosquets ou individus isolés. Le biotope idéal semble être un estuaire de torrent et la présence d’une nappe phréatique. Dans de telles conditions, Phoenix theophrasti prend la forme d’un couvert forestier d’une forte densité, quasiment impénétrable.

Un palmier particulièrement rustique
Les sites observés attestent par ailleurs de la grande rusticité de Phoenix theophrasti. Ils mettent ainsi en évidence sa résistance aux vents violents de la mer Egée et à l’aridité du climat. Il en va de même dans des milieux d’une forte salinité ou face à des plantes aussi envahissantes que la cannaie (Aurundo Donax) et la pinède.

Des modes de reproduction variés
La capacité de survie de Phoenix theophrasti apparaît plus particulièrement, du fait que sa reproduction optimise les modes sexués et végétatifs :
*la reproduction sexuée semble ainsi viable avec une population extrêmement réduite, comme le montre le site grec de Martsalos, avec une dizaine de palmiers.
*la reproduction végétative est de même possible, les rejets étant systématiques et abondants, à la base du stipe comme à mi-hauteur. C’est ce que montre l’existence de spécimens isolés dans les îles grecques.

BIBLIOGRAPHIE
L'AIRE DE DISTRIBUTION DE PHOENIX THEOPHRASTI EN CRETE

9 PALMERAIES ONT ETE RECENSES EN CRETE :
* REGION DE CHANIA: Chryssoskalitisa (GR4340002), Drapano Georgoupolis (GR4340010),
* REGION DE RETHIMNO:  Prevelis  (GR4330003), Ormou Plakia (GR4340012)
* REGION DE IRAKLEION:  Gkazi-Almiros (GR4310001), Stalida, Aghios Nikitas-Tsoutsouras (GR4310005), Martsalos  (GR4310004), 
* REGION DE LASITHIOU: Vai (GR4320009), Erimoupoli, Moni Toplou (GR4320006).
Références
TURLAND N.J., CHILTON L., PRESS J. R. (1993). Flora of the Cretan Area. Annotated Check List and Atlas. The Natural History Museum, HMSO, London. pp. 439.  
VAMVOUKAKIS J.A. (1988). Phoenix theophrasti on Crete, Principes 32(2), pp.82-83
L'AIRE DE DISTRIBUTION DE PHOENIX THEOPHRASTI EN TURQUIE

Les principaux sites où l’on a recensé Phoenix Theophrasti en Turquie sont au nombre de 3 : GOLKOU, DATÇA et KUMLUCA. Ils se trouvent dans la région qui va de BODRUM à ANTALYA, sur la côte méditerranéenne du pays.
Références
BOYDAK, M. 1985: The Distribution of Phoenix theophrasti in the Datça Peninsula, Turkey. Biological Conservation, Vol. 32, No. 2, pp. 129-135. ISSN 0006-3207   
YALTIRIK, F., BOYDAK, M. 1991: Distribution and Ecology of the Palm Phoenix theophrasti (Palmae) in Turkey. Botanica Chronika 10, pp. 869-872.
BOYDAK, M., BARROW, S. 1995: A new Locality of Phoenix in Turkey; Gölköy- Bodrum. Principes, Vol. 39, No. 3, pp. 117-122.

 

 

DESCRIPTION

Dioïque comme tous les palmiers du genre Phoenix, Phoenix theophrasti peut atteindre une hauteur d’au moins 15 mètres. Ses caractères distinctifs sont des fruits peu allongés et arrondis aux extrémités, la présence d’épines de grande taille, le fort diamètre de son stipe allant jusqu’à 50 cm et par la présence systématique de rejets à sa base ainsi qu’à mi-hauteur. Cette dernière particularité entraine une forte ressemblance avec Phoenix dactylifera, susceptible d’expliquer le caractère tardif de son identification en tant qu’espèce distincte dans le genre Phoenix. Phoenix theophrasti n’a été identifié qu’en 1967, par le botaniste suisse Werner Greuter (GREUTER W. 1987). Il est d’ailleurs souvent considéré, dans la littérature, comme l’ancêtre sauvage de Phoenix dactylifera. Les études résumées ci-dessous concernent sa caractérisation génétique ainsi que l’étude morphologique de ses graines. Les graines de palmiers sont en effet très fréquentes dans les sites archéologiques méditerranéens et moyen-orientaux.
Caractérisation phylogénétique
La génétique a permis d’élaborer une classification dite phylogénétique des plantes. Elle se présente sous une forme similaire à un arbre généalogique, où chaque espèce prend place lors de son apparition. 16 séquences nucléaires simples de répétition (SSR) ont été utilisées pour l’étude du genre Phoenix, par les laboratoires de l’IRD, de l’INRA et du CNRS de Montpellier (France). Taxa amplification et essais génotypiques ont montré l'utilité de la plupart de ces marqueurs SSR dans un échantillon de 11 espèces de Phoenix. Les analyses menées ont permis d’établir clairement l’identité de Phoenix theophrasti en tant qu’espèce distincte. Elles ont aussi précisé sa place dans le genre Phoenix, avec la mise en évidence d’un ‘clade’ composé de 5 espèces affines: P. dactylifera, P. atlantica, P. canariensis, P. theophrasti et P. sylvestris.

Caractérisation morphométrique
La caractérisation en cours du genre Phoenix porte aussi sur les graines de palmiers. Son intérêt dépasse la botanique, car il s’agit d’un matériel très présent dans les sites archéologiques. Un lot de graines de Phoenix theophrasti a ainsi été intégré à la base de données du CBAE (CNRS-France). La méthode employée repose sur la description des graines par la méthode dite elliptique de Fourrier.

 

ANTIQUITE

La présence des palmeraies de Phoenix theophrasti est curieusement absente de la littérature antique. Le palmier est toutefois bien connu des Grecs, dans la littérature et dans les représentations. L’absence de mentions, dans la Grèce antique, d’un quelconque usage agricole du palmier vient conforter le caractère marginal de la distribution actuelle de Phoenix theophrasti.
Les palmiers de Santorin
Les attestations les plus anciennes de la présence de palmiers en Grèce remontent à l’époque minoenne. Il s’agit des fresques de Santorin, datées de 1500 BC. Elles représentent des palmiers poussant au bord d’une rivière. Il pourrait s’agir soit d’une représentation d’un paysage du Moyen-Orient, soit d’une figuration antique de Phoenix theophrasti dans son habitat naturel.

Le palmier de Délos
Dans la civilisation hellénique, la première mention littéraire du palmier est très ancienne. Elle provient de l’Odyssée (VI, 162-168) et concerne l’île de Délos et le culte d’Apollon. L’hymne à l’Apollon de Délos remonte au moins au VIIe siècle. Il rapporte le miracle du palmier qui préside à la naissance du dieu. Il s’agit là par ailleurs d’un spécimen isolé de palmier.

Les ex-votos de palmiers
Par la suite, des ex-votos de palmiers, sont attestés dans plusieurs sanctuaires. Généralement en bronze, ils prennent parfois une forme monumentale. Certains auteurs ont vu là l’une des sources de la colonne dite ionique.

BIBLIOGRAPHIE
 
AMANDRY Pierre, 1954.
Notes de topographie et d'architecture delphiques. Le palmier en bronze de l’Eurymedon.
In: Bulletin de correspondance hellénique, Vol. 78, No 1, p. 295-315.
Commentaire
Le palmier est présent de très haute antiquité dans la mythologie grecque, dès l’Odyssée d’Homère (ca 800 BC) et l’Hymne homérique d’Apollon. Ce dernier nous apprend ainsi que «lorsque Latone, la déesse qui préside aux enfantements arrive à Délos, elle éprouve les plus vives douleurs; près d’accoucher, elle entoure de ses bras un palmier». Apollon est par ailleurs représenté avec Latone et Artemis devant le palmier sacré de Délos, ainsi qu’avec Dionysos devant le palmier sacré de Delphes. On trouve aussi, dans les temples grecs les plus anciens, des palmiers en bronze, lesquels font penser aux colonnes palmiformes des temples égyptiens. Pausanias estime (tardivement), que le célèbre chapiteau ionique aurait été originellement une colonne en forme de palmier, dont atteste une illustration exemplaire en Crete, dite éolienne.
 
KEFALIDOU Eurydice, 2009.
The plants of victory in ancient Greece and Rome.
In: Plants and Culture seeds of the cultural heritage of Europe, Edipuglia.
Commentaire
La présence des deux grandes valeurs égyptiennes du palmier, insigne royal et emblème mortuaire dans la Grèce Antique comme à Rome, laisse penser à une influence orientale contemporaine des développements de la civilisation grecque vers ces régions. Il s’agit là en effet d’un usage tardif, mentionné pour la première fois vers 400 BC. Les palmes figurent ainsi sur les vases ou dans les nécropoles gréco-romaines, lors des processions funéraires. Elles sont aussi représentées dans l’art antique comme symbole de victoire, couronnant les vainqueurs des jeux et des guerres. Sur des stèles d’époque gréco-romaine, découvertes dans des sites de Tunisie et d’Algérie, on trouve deux divinités liées à la mort et à la fécondité, Saturne entouré de palmiers et d’animaux, et Tyché portant le rameau de palmier et la gerbe d’épis. Ces deux aspects vont s’affirmer avec l’irruption du christianisme dans le monde antique, lorsque le Christ est accueilli à Jérusalem avec des palmes au titre de "Roi" messianique des Juifs, puis par les représentations des martyrs chrétiens, où les palmes signifient à la fois la mort du saint et sa récompense céleste.
 
Voir aussi
DEONNA W. 1951. L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (premier article), Revue de l'histoire des religions, 139-2, 162-207. Link: http://www.persee.fr/
DEONNA W. 1951. L'ex-voto de Cypsélos à Delphes : le symbolisme du palmier et des grenouilles (second et dernier article). In: Revue de l'histoire des religions, 140-1, 5-58. Link: http://www.persee.fr/

 

CONCLUSION

HYPTOHESE 1
Les éléments rassemblés ci-dessus laissent tout d’abord penser que Phoenix theophrasti serait un palmier endémique égéen, et plus précisément une relique subtropicale de l’ère tertiaire. Le genre Phoenix est en effet bien connu à l'état fossile en Europe occidentale et centrale depuis l'Eocène moyen (50 millions d'années). Les résultats de séquençage évoqués ici laissent par ailleurs penser, que le ‘clade’ dactyliferacanariensistheophrastisylvestrisatlantica pourrait être primitif au sein du genre Phoenix.

HYPOTHESE 2
L’hypothèse d’une survie marginale de Phoenix theophrasti jusqu’à nos jours semble tout à fait vraisemblable, au regard de la grande diversité d’habitats de ce palmier, de sa rusticité et de la faible pression anthropique due à l’insularité et à l’isolement. La présence marginale de Phoenix theophrasti dès la Grèce antique, impliquerait donc que l’éradication de ces populations remonte au néolithique, suite à leur présence dans les zones les plus adaptées à l’agriculture. L’élevage, notamment celui des chèvres, aurait ensuite limité le développement des arbres résiduels.

PERSPECTIVES DE RECHERCHE
La survie de Phoenix theophrasti est de nos jours gravement menacée par divers facteurs, qui relèvent de la pression anthropique exercée sur ces milieux fragiles.
La plupart de ces menaces sont assez faciles à gérer, et le sont déjà en grande partie dans le cadre des politiques de conservation actuelles :
*la base génétique réduite sur laquelle reposent les populations résiduelles,
*l’élevage, et plus précisément la présence de chèvres qui dévorent les jeunes pousses.
*le tourisme, organisé comme sauvage.

Plus problématique, l’introduction de palmiers ornementaux liée à l’urbanisation, pourrait conduire à la disparition de Phoenix theophrasti avec :
* rapidement, avec l’introduction de parasites comme Paysandia archon et surtout Rhynchophorus ferrugineus.
* à terme, la possibilité d’hybridation de Phoenix theophrasti avec les palmiers ornementaux du genre Phoenix. Des recherches sont conduites actuellement en Italie, où l’introduction des palmiers remonte à plus d’un siècle, sur la caractérisation génétique des hybrides du genre Phoenix.
 
BIBLIOGRAPHY & COLLABORATIONS
 
SCIENTIFIC COLLABORATIONS & DATABASE
*Genetic
INRA (plate forme de génotypage : Genetrop – France) 
IRD (Palm database : Montpellier – France)
CRA (Palm database : UR FSO – Italy)
*History and archaeology
CNRS (Seeds database : Centre de Bioarchéologie et d’Ecologie – France)
CRP (Iconografic database : Centre de Recherche sur la Patrimoine – France)
 
BIBLIOGRAFICAL REFERENCES
BOYDAK, M. 1985. The Distribution of Phoenix theophrasti in the Datça Peninsula, Turkey. In : Biological Conservation, Vol. 32, No. 2, pp. 129-135. ISSN 0006-3207
BOYDAK, M., BARROW, S. 1995. A new Locality of Phoenix in Turkey; Gölköy- Bodrum. In : Principes, Vol. 39, No. 3, pp. 117-122.
GREUTER W. 1987. Phoenix theophrasti Greuter. In : Nepeta sphaciotica P.H.
PINTAUD, J.-C., ZEHDI, S., COUVREUR, T., BARROW, S., HENDERSON, S.,  ABERLENC-BERTOSI,  F.,  TREGEAR,  J.  &  BILLOTTE,  N., 2010. Species delimitation in the genus Phoenix (Arecaceae) based on SSR markers, with emphasis on the identity of the date palm (Phoenix dactylifera L.). In Diversity, phylogeny and evolution in the monocotyledons, Aarhus University Press, Denmark, pp. 267–286.
TERRAL JF, NEWTON C, IVORRA S, GROS-BALTHAZARD M, TITO DE MORAIS C, PICQ S, TENGBERG M and PINTAUD JC, 2011, Insights into the historical biogeography of the date palm (Phoenix dactylifera L.) using geometric morphometry of modern and ancient seeds. In : Journal of Biogeography
TJIRKALLI E, TSIAMIS G, BOURTZIS K, 2006. Determination of the genetic diversity and population structure for each of the 6 targeted species ; Interim Report (June 2005 – June 2006) ; Department of Environmental and Natural Resources Management ; University of Ioannuna
TURLAND N.J., CHILTON L., PRESS J. R., 1993. Flora of the Cretan Area. Annotated Check List and Atlas. The Natural History Museum, HMSO, London. pp. 439.
VAMVOUKAKIS J.A. 1988. Phoenix theophrasti on Crete, In : Principes 32(2), pp.82-83
YALTIRIK, F., BOYDAK, M., 1991. Distribution and Ecology of the Palm Phoenix theophrasti (Palmae) in Turkey. In : Botanica Chronika 10, pp. 869-872.

 
 

 

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