Illustration du Dimanche des Palmes à Bordighera par MARS en 1888
L’époque de l’introduction du palmier en Europe est inconnue. Les historiens la situent à la période des croisades ou des incursions des pirates sarrasins, voire encore aux contacts commerciaux de la République de Gènes avec la région du Levante espagnol, où se trouve la palmeraie d’Elche. Selon la tradition légendaire italienne, les palmiers seraient arrivés en Ligurie dès les premiers siècles du christianisme, avec les moines venus d’Orient. Rien n’exclue par ailleurs une présence autochtone, remontant à une époque proto-historique bien plus ancienne. Quelques soient ses origines, le dattier a trouvé sur le littoral européen une terre d’accueil, où il germe spontanément et peut se reproduire naturellement. Il a donné naissance dans ces régions à une riche tradition religieuse commune aux Juifs et aux Chrétiens. Nos investigations nous conduisent à penser que ces productions s’inscrivaient dans un vaste réseau commercial euro-méditerranéen, documenté dès l’Antiquité de la Palestine au Maroc, et par la suite en direction de l’ensemble des pays européens.
Sources de cet article
CASTELLANA R., 2000. « Introduction et diffusion de plantes à usages rituels en Méditerranée occidentale », Actes des quatrièmes Journées universitaires corses de Nice, 7-9 novembre 1998 [organisés par le] Centre d’études corses de Nice (CECN), Nice, UNSA, 2000, pp.115-127, ISBN 2-9508315-2-4. Lien vers le texte intégral
Mise à jour 2013: Castellana R, Carassale R, DoreMN, Veziano P 2013. La phoeniciculture historique en Italie. Lien vers le texte intégral
En savoir plus: Les traditions de la palmiculture rituelle sont développées sur les pages de ce site intitulées Dies Palmarum: home–orient–égypte–grèce–éthiopie–rome–espagne–ligurie–sardaigne–corse–france
{tab=HISTOIRE}
La palmeraie de Bordighera est l’un des sites historiques attestant d’une présence précoce du palmier dattier en Europe. Ses palmiers ne produisent pas de dattes (en raison de la maturation incomplète des fruits), mais des feuilles destinées à des rituels religieux communs aux chrétiens et aux juifs. Il s’agit de:
* la palme blanche pour les fêtes chrétiennes de Pâques (dite Romana)
* la palme jeune pour les fêtes juives de Soukhot (dite Ebrea).
Les témoignages directs recueillis auprès des derniers cultivateurs nous ont appris qu’ils avaient élaboré une distinction entre les palmiers susceptibles de produire les feuilles destinées aux deux religions. Les sources historiques sont muettes sur cette typologie paysanne. Elle repose sur le souci d’économiser les opérations d’ascension, longues, pénibles et dangereuses. La distinction établie entre les palmiers en fonction de leur production, repose sur la forme de la partie terminale des feuilles (l’apex) et sur celle du feuillage de l’arbre.
* les palmes juives sont courtes et raides, les folioles sont larges, peu fendues, et l’extrémité des palmes est dense et arrondie. L’arbre possède un port plutôt érigé.
* les palmes chrétiennes sont longues et arquées, les folioles sont étroites et profondément fendues, et l’extrémité des palmes est peu fournie et plus pointue. Le port de l’arbre est retombant (pleureur).
Les premières mentions de ces cultures rituelles sont attestées à Bordighera et à Sanremo dès le moyen-âge. La région devient à cette époque le fournisseur officiel du Vatican, mais aussi celui des communautés juives d’Europe. Les traditions juives et chrétiennes nécessitent par ailleurs une mise en culture des palmiers respectant des prescriptions rituelles très rigoureuses. Ces savoir-faire se sont conservés jusqu’à nos jours à Bordighera, où l’on dénombre encore un millier d’arbres. La palmiculture rituelle s’est aussi accompagnée, sous l’influence des traditions juives et musulmanes, de l’introduction des agrumes en Méditerranée, entre l’Antiquité et le début du moyen-âge, notamment avec le cédratier dont le fruit participe comme la palme au bouquet rituel juif.
En savoir plus :
* Essai de caractérisation des morphotypes ‘juifs’ et ‘romains’ de palmiers dattiers: morphometrie
* Culture, introduction et diffusion de Citrus medica L. en Méditerranée occidentale: agrumiculture
* Les traditions juives : anthropologie
{tab=PALMES CHRETIENNES}
Le foglie di palme di Bordighera per la Settimana Santa in Vaticano.
Archivio Storico Luce
La technique de culture des palmes chrétiennes, obéit à une exigence rituelle relative à leur couleur, laquelle doit être la plus blanche possible. On use pour cela d’une technique de ligature. En juillet, le « palmiste » attache à cet effet le “cœur” (ou « oeil ») de l’arbre, c’est-à-dire l’ensemble des feuilles centrales, en forme de bouquet. En l’absence de lumière, les palmes prennent au cours de leur croissance une couleur blanche, due à l’absence de réaction chlorophyllienne. Les palmiers mis en ligature sont « ouverts » quelques semaines avant la Pâque. L’arbre ne sera plus exploité avant 2 ans. La récolte peut comporter jusqu’à une vingtaine de feuilles. Elles seront employées pour l’Office des Palmes ou pour la réalisation de tressages.
Cet artisanat est toujours très vivant dans l’ensemble de la Ligurie. Les principaux motifs et figures que nous avons pu recenser sont
* les fleurs (ou roses),
* le bénitier (ou vase),
* le panier et ses dérivés,
* les croix (à 4, 6 voire 8 branches),
* le frison (ou accordéon, dit aussi montre),
* le ventre (ou panse, ou bien poisson),
* la colombe,
* la barque, qui est une spécialité de Bordighera,
ainsi que d’autres motifs composites qui doivent souvent beaucoup à l’inspiration de l’artisan.
Liens vers l’artisanat de la palme tressée à Bordighera
{tab=PALMES JUIVES}
Ill. Sanremo: palmiers ligaturés en vue de la production de palmes juives
La production des palmes rituelles juives diffère sensiblement de celle des palmes chrétiennes. Elle ne nécessite pas de culture à proprement parler, puisqu’il s’agit seulement d’une cueillette, celle des jeunes pousses de l’année. Elle suppose toutefois l’emploi exclusif de palmes de la variété dactylifera et fait l’objet (au mois de juin), d’une ligature très lâche, car seulement destinée à empêcher les feuilles de trop grandir, ainsi qu’à les protéger de manière à ce qu’elles ne « s’ouvrent » pas. Cette exigence rituelle, dont l’origine est inconnue, concerne la foliole terminale de la palme qui ne doit pas être fendue.
La récolte des palmes juives a lieu en septembre. Cette culture est bien moins productive (au maximum dix feuilles par arbre), mais elle permet en contrepartie l’exploitation annuelle des plantes. En matière de botanique rituelle, on notera encore l’existence de sujets recherchés du fait que la foliole centrale se termine sous la forme d’un « crochet ». Toute aussi prisée d’un point de vue rituel, une autre particularité rare consiste dans la rectitude de la nervure centrale de la palme. La palmeraie de Bordighera assurait la fourniture des communautés juives de l’ensemble de l’Europe. Les artisans réalisaient aussi les balles et les “ometti”, des étuis destinés au bouquet rituel de l’Office des Palmes. Confectionné d’un étui en palmes tressées, ce bouquet comporte une feuille de palmier en son centre. La construction de cabanes couvertes de feuilles de palmiers, la sukka, est un autre élément de la fête juive, à laquelle elle a donné son nom de Sukkot. Il ne s’agit pas toutefois d’une tradition propre à Bordighera.
{tab=BIBLIOGRAPHIE}
BESSONE G.E 1992. Bordighera Palme d’autore. Rééd. 2001 in: La tutela del patrimonio ambientale e del palmeto di Bordighera. Atti della Gioranata di Studi. Bordighera, 12 giugno 1999. Link: www.bordighera.it
CARASSALE A., CASTELLANA R., DORE M.N., VEZIANO P. 2013. La phoeniciculture historique en Italie. Description de la palmeraie médiévale de Bordighera. In: I° International Symposium on Date Palm (Alger 2011), Acta Horticulturae 2013 (ISHS) 994:39-52. Link: www.listephoenix.com
CASTELLANA R. 2012. La Palmeraie de Bordighera: Visite Guidée. Ed. CRP-The Phoenix Project. Link: www.listephoenix.com
CASTELLANA R. 2000. Culture, introduction et diffusion de plantes à usages rituels en Méditerranée occidentale. In Actes des IV° Rencontres Universitaires Corses de Nice. Link: gardenbreizh.org
CASTELLANA R. 1997. Les Palmes de la Passion. France, ROM Ed. 48p. Link: boutique.rom.fr
PARSONS J. 2011. The festival of Sukkot, the feast of the Tabernacles, from Hebrew for Christian. Link: www.hebrew4christians.com
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