Juifs

Consacré à la tradition religieuse chrétienne des palmes tressées dans le monde méditerranéen, ce dossier a été rédigé par Robert Castellana, coordinateur du Projet Phoenix avec la collaboration de Jean Christophe Pintaud (IRD).  Les documents relatifs à ces traditions sont accessibles ici: orientégyptegrèceéthiopieromeespagneliguriesardaignecorsefrance

Soukkhot Bernard Picart, Antoine Auguste Procession des palmes chez les Juifs portugais Bruzen de La Martiniere - 1721Illustration: Bernard Picart, Antoine Auguste. Procession des palmes chez les Juifs portugais. Bruzen de La Martiniere. 1721

Lorsque les temps forts du cycle végétal correspondent à ceux du calendrier festif, une plante vient souvent symboliser une fête et ses rituels. C’est le cas des Juifs, qui usent rituellement du palmier à l’époque de sa fructification, lors de la fête dite des Cabanes. Cette dimension calendaire occupe par ailleurs une place particulière, car elle suit les cérémonies de la nouvelle année. Les fêtes juives entretiennent un rapport direct avec l’Egypte. Elles perpétuent en effet le souvenir du départ des Juifs de ce pays: “Vous demeurerez dans les tentes durant 7 jours […/…] afin que vos générations sachent que j’ai donné des tentes pour demeure aux enfants d’Israël quand je les ai fait sortir d’Égypte” précisent les textes sacrés qui fondent cette tradition. Ces fêtes se sont perpétuées dans l’ensemble des communautés juives de l’Europe, depuis le moyen âge et jusqu’à nos jours, grâce aux productions de la palmeraie historique de Bordighera.

LA LITURGIE

Les commémorations de la fête de Soukkhot consistent dans l’édification de la “cabane” rituelle (la soucca), dont le toit est souvent fait de palmes et qui doit être située en plein air, balcon, jardin, cour ou terrasse. Abri provisoire, rappelant les installations des pasteurs nomades, la cabane rituelle doit aussi être un lieu agréable et convivial, où l’on va se réunir toute la semaine à l’heure du repas. Il arrive même qu’on y dorme, dans l’esprit des origines de la tradition. A l’occasion des prières et des offices religieux qui accompagnent cette fête, une feuille de palmier prend place au centre d’un bouquet composé de deux autres plantes, le saule et le myrte, ainsi que d’un fruit de cédrat. Pendant les prières et les offices de la semaine des Cabanes, on présente ce bouquet vers les quatre points cardinaux, la terre et le ciel. On le processionne aussi autour de l’autel de la synagogue. Une dernière procession, plus solennelle, vient clore les fêtes, avec les cérémonies de Hosha’ana Rabba. En cette occasion, l’autel est parfois décoré de deux piliers faits de branches de saule, et nettoyé cérémonieusement avec des rameaux de ce même arbre, ou au moyen de palmes, qui trouvent là un dernier emploi religieux.
En savoir plus
PARSONS John 2011. The festival of Sukkot, the feast of the Tabernacles.
In: from Hebrew for Christian.
Gallery: la fête juive des Cabanes & la palmiculture rituelle
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LE CEDRAT

Souccot à Jerusalem: la fête de la joie (Franciscan Media Center)
A côté du palmier, les 3 autres plantes qui composent le bouquet rituel de la fête juive de Souccot, font tous l’objet de prescriptions rituelles très strictes. Il s’agit principalement du cédrat (etrog), dont l’introduction atteste de l’existence d’un vaste réseau de cultures, concernant l’ensemble de la Méditerranée et s’étendant même jusqu’au Yémen et à la façade atlantique du Maroc. Cette entreprise pionnière en matière d’acclimatation, relève d’une étonnante collaboration qui associe les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, à des titres divers et à des périodes différentes. Initiée dès l’Antiquité par les Juifs avec le cédratier (Citrus medica), elle connaît un tournant majeur lors de l’introduction du bigaradier (Citrus bigaradia), due aux Arabes. Cet agrume robuste servira en effet de porte-greffes et permettra par la suite l’introduction des agrumes les plus délicats.
Source: CASTELLANA Robert, 2000. Culture, introduction et diffusion de plantes à usages rituels en Méditerranée occidentale. In Actes des IV° Rencontres Universitaires Corses de Nice. Lire l’article: gardenbreizh

L’introduction des agrumes dans l’ère culturelle méditerranéenne débute dès l’Antiquité, lorsque les Juifs implantent dans ces régions la culture du cédratier (Citrus medica) à des fins rituelles. Au moyen-âge, l’arrivée d’une variété porte-greffe, le bigaradier, va poser la question de la pureté rituelle du cédratier. Les caractéristiques définissant cette pureté rituelle ont été définies au fil des siècles au travers de descriptions d’ordre morphologiques, concernant les différentes parties du fruit. Ce n’est que récemment qu’une étude de caractérisation génétique a été entreprise. Elle confirme dans ses grandes lignes la pertinence des définitions traditionnelles de la Kashrout. L’étude a concerné 12 genotypes de Citrus medica L. qui ont été comparés à d’autres agrumes très proches : Citrus  maxima  Merr.,  Citrus  reticulata  Blanco,  Citrus  limon  (L.)  Burm.  F. et  Citrus  aurantium  L.
Source: NICOLOSI E., LA MALFA S., EL-OTMANI M., NEGBI M., GOLDSCHMIDT E.E. 2005. The Search for the Authentic Citron (Citrus medica L.). Historic and Genetic Analysis. In HORT SCIENCE 40 (7) 1963–1968. Lire l’article: hortsci.ashspublications
En savoir plus sur l’impact de la botanique rituelle juive dans l’histoire de l’agrumiculture azuréenne: listephoenix

 

LE PALMIER

La palmeraie historique de Bordighera n’est pas vouée à la culture dattière, en raison de la maturation incomplète des fruits, mais à celle de feuilles destinées à des rituels religieux chrétiens et juifs: la palme blanche pour les fêtes chrétiennes de la Pâque (dite Romana) et la palme jeune pour les fêtes juives de Soukkhot (dite Ebrea). Ces productions ont fait récement l’objet d’une étude ethnobotanique visant à mieux connaître leur histoire et à préserver leur originalité.
Ill. Sanremo: palmiers ligaturés en vue de la production de palmes juives.
La culture des palmes juives, les loulavim
La cueillette des feuilles de palmier destinées aux fêtes juives a lieu lors de la fête des Cabanes, dont la date est variable mais qui se tient toujours au début de l’automne. La récolte se compose au maximum de dix feuilles par arbre, exclusivement les jeunes pousses. Elle nécessite au préalable (au mois de juin), une ligature très lâche du bouquet, destinée à protéger les feuilles durant leur croissance. Il s’agit de respecter une exigence rituelle, dont l’origine est inconnue, relative à la foliole terminale de la palme qui ne doit pas être fendue. En matière de botanique rituelle, on notera encore l’existence de sujets recherchés du fait que la foliole centrale se termine sous la forme d’un “crochet”. Toute aussi prisée d’un point de vue rituel, une autre particularité rare consiste dans la rectitude de la nervure centrale de la palme. La palmeraie de Bordighera assurait par ailleurs la fourniture des “ometti”, des étuis destinés à confectionner le bouquet rituel de l’Office des Palmes. En savoir plus: listephoenix
Palmes juives et romaines: le point de vue des cultivateurs
La distinction établie par les cultivateurs entre les palmiers en fonction de leur destination religieuse, repose sur la forme de la partie terminale des feuilles (l’apex) et sur celle du feuillage de l’arbre. Une recherche exploratoire a été conduite par les techniques du génotypage et de la morphométrie géométrique. Elle visait à savoir si la distinction paysanne correspondait à un dimorphisme existant réellement au sein de la palmeraie ou s’il s’agissait seulement d’un choix de “morphotypes” particuliers au sein d’une plus grande diversité de formes. Une recherche ultérieure a permis la modélisation informatique de ces “morphotypes” juifs et chrétiens, et par la même la sauvegarde de ce savoir paysan original. Lire l’article: listephoenix

 

BORDIGHERA JUDAICA

Aux origines de la palmeraie historique de Bordighera : la production des loulavim pour la fête de Soukkhot (témoignages contemporains). Nous sommes à la fin septembre, mais le soleil est encore brulant. Un homme âgé, portant un lourd manteau noir, monte péniblement les escaliers qui conduisent au village. Sa barbe blanche et son grand chapeau ne sont pas sans attirer l’attention lorsqu’il parvient à la porte du rempart. Assis de part et d’autre de l’étroite ruelle, des hommes taciturnes le saluent respectueusement. Une vieille femme, elle aussi tout de noir vêtue, le bénit du signe de la croix. Arrivé devant l’église de Marie Madeleine, il reste un instant songeur devant le portrait de cette autre juive, venue ici il y a deux mille ans selon la légende locale, fuyant la Terre Sainte à bord d’une frêle embarcation. Il lui revient alors en mémoire ces années de guerre, où encore jeune homme il se trouvait sur la plage de la palmeraie, par un matin gris et pluvieux, à l’abri des serres Allavena. Un groupe de juifs attend alors la barque qui doit les amener de l’autre côté de la frontière, afin d’échapper à ce pays où le fascisme vient de promulguer les lois raciales. La fraicheur et le bruit de l’eau interrompent brutalement sa rêverie. Il était arrivé au canal du Beodo, où les lavandières s’affairaient bruyamment. Il entra alors dans le magazzino. A l’intérieur un vieux paysan l’attendait, en compagnie d’un enfant timide et curieux. Le paysan avait sorti de la cave des boites remplies de loulavim et l’examen minutieux de la récolte allait commencer. A la fin de la matinée, plutôt satisfait de la production et des conditions financières qu’il avait obtenues, le rabbin se rendit à la gare. Il lui fallait à nouveau franchir cette frontière car on ne trouvait pas de nourriture casher en Italie. Arrivé à Vintimille, les clandestins qui erraient autour du poste frontière le ramenèrent au souvenir des années d’exil. Ils envisageaient probablement d’emprunter le sentier dit du Pas de la Mort, comme tant de juifs de ses amis l’avaient fait avant eux. Des ouvrières qui sentaient le poisson rentraient en riant et en s’interpellant des conserveries de la Principauté de Monaco. La nostalgie le reprit car il savait que ce voyage serait le dernier d’une longue histoire familiale. Il était temps de songer à partir à présent, en direction de la Suisse, puis de l’Allemagne et de l’Angleterre, pour négocier la vente de la production de cette année, car les fêtes de Soukkhot approchaient à grands pas. A peine romancé, ce récit est le portrait du dernier négociant de palmes tel que nous l’ont rapporté les rares témoins contemporains de la tradition juive des palmiers à Bordighera (Franco Palmero et Luciano Traverso).
5 siècles d’histoire et d’échanges entre Juifs et Chrétiens: un patrimoine en déshérence
Au travers de ces témoignages, émergent les principales dimensions patrimoniales du site de la palmeraie historique et plus particulièrement l’importance du canal d’irrigation (aujourd’hui promenade du Beodo.) Un gestionnaire des eaux distribuait alors l’eau de ce canal aux diverses propriétés à tour de rôle, en ouvrant les trappes de dérivation qui alimentaient les bassins de chaque parcelle. Ces bassins sont encore bien visibles dans l’ensemble de la palmeraie. Il en va de même des agrumes et des palmiers, qui ont donné naissance à des paysages à l’origine du succès touristique de l’ensemble de la région. Les lois raciales de 1938 et la tragédie de la Shoah ont toutefois effacé les traces mémorielles, humaines et matérielles de la présence des Juifs, ici comme dans une grande partie de l’Europe. La mémoire juive survit pourtant dans l’ancienne palmeraie de Bordighera, immortalisée par une riche iconographie (notamment les tableaux que Claude Monet a réalisés en 1884), et grâce à la présence de jardins historiques patrimoniaux témoins de cette histoire qui a mis en contact Juifs et Chrétiens pendant plus de 5 siècles. Ces jardins sont liés à l’histoire de la diaspora juive à des titres divers et des périodes différentes. Il s’agit tout d’abord, du Jardin Expérimental Phoenix, le dernier des jardins traditionnels de productions de loulavim. En 1875, la Villa Etelinda voit le jour avec son parc de palmiers, création du paysagiste Ludwig Winter pour le banquier et philanthrope Raphael Bischoffsheim. En 1909, c’est le peintre impressionniste Pompeo Mariani qui installe son atelier au milieu des oliviers centenaires et des palmiers nains du Jardin Moreno. Et plus récemment, après la seconde guerre, la journaliste et modiste Irene Brin crée à Sasso un jardin de sculptures dont l’imposante palmeraie vient d’être réhabilitée par la paysagiste Maria Dompe. Il s’agit toutefois d’un patrimoine en déshérence, dont le maintien repose uniquement sur des initiatives privées. En savoir plus: BordigheraJudaica

 
 

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