Citer cet article: CASTELLANA Robert 2014. La fête juive de Soukkot et les traditions religieuses des palmes dans le monde méditerranéen. Chapitre 1/3 : la liturgie. CRP ed. Publication en ligne. Lien
- Sommaire du chapitre
- Aux origines de la tradition
- La liturgie et le calendrier
- Le bouquet rituel
- Les cabanes

Illustration. Picart Bernard Antoine Auguste. Procession des palmes chez les Juifs portugais. Bruzen de La Martiniere. 1721
Abstract. Lorsque les temps forts du cycle végétal correspondent à ceux du calendrier festif, une plante vient souvent symboliser une fête et ses rituels. C’est le cas des Juifs, qui usent rituellement du palmier à l’époque de sa fructification, lors de la fête dite des Cabanes, ou encore du premier des agrumes introduits en Occident, le cédrat. Cette dimension calendaire occupe par ailleurs une place particulière, car elle suit les cérémonies de la nouvelle année. Les terroirs qui virent les premières expériences d’introduction de ces plantes, allaient rapidement devenir les principaux foyers d’acclimatation de matériel végétatif du bassin méditerranéen. Palmiers et agrumes participent de nos jours en Europe (et bien au-delà) de l’invention des paysages d’agrément. Leur introduction s’inscrit en fait dans une longue tradition d’ambivalence envers les innovations culturales, mêlant méfiance et fascination. L’emploi alimentaire du blé, de l’olivier ou de la vigne s’accompagna ainsi d’importantes prescriptions religieuses. Un processus analogue concerna les épices et les condiments, considérés comme des médicaments et intégrés à la pharmacopée médiévale, avant de prendre place dans nos « épiceries », dans nos « drogueries » et sur notre table. Les encens et les parfums furent de même adoptés par les liturgies juive et chrétienne, avant de devenir des produits d’hygiène et de beauté. On pourrait encore évoquer le domaine des traditions populaires, avec les emplois de la fleur d’oranger pour les mariages ou les usages funéraires de la rose.

Illustration. Egypte. Sous un palmier doum, le défunt se désaltère. Deir-el-Medineh-tombe-TT3 dite de Pachedou.
Aux origines de la tradition. Arbre nourricier par excellence, le palmier possède une dimension religieuse commune aux Juifs, aux Chrétiens, aux Musulmans ainsi qu’aux religions de l’Antiquité. Dès l‘ancienne Egypte, le palmier présidait ainsi aux traditions funéraires en tant que nourriture des morts dans leur voyage vers l’au-delà. Les fêtes juives entretiennent d’ailleurs un rapport direct avec l’Egypte. Elles perpétuent en effet le souvenir du départ des Juifs de ce pays: « Vous demeurerez dans les tentes durant 7 jours […/…] afin que vos générations sachent que j’ai donné des tentes pour demeure aux enfants d’Israël quand je les ai fait sortir d’Égypte » précisent les textes sacrés qui fondent cette tradition. Prototype de la colonne, le palmier était par ailleurs à l’origine de l’architecture sacrée. Il représentait enfin, dans l’ensemble du monde antique, l’emblème de la royauté.

Illustration. Leopold Pilichowski 1894. Souccot à la synagogue. Jewish Museum
La liturgie et le calendrier. Le Nouvel An juif se compose de deux périodes distinctes. La cérémonie du Grand Pardon, le Yom Kipour, en clôture la première partie. Journée de jeune et de prières, le Grand Pardon constitue la plus importante des fêtes juives. La fête des Cabanes, qui se tient au cours de la semaine suivante, est elle aussi l’un des temps forts des festivités du Nouvel An juif. Ces fêtes, qui se tiennent entre septembre et octobre, sont des fêtes joyeuses, alternant pendant une semaine banquets, chants, danses, offices religieux et divers rituels qui mettent en jeu la nature et les plantes. Avec la construction des cabanes, les composants du bouquet rituel sont au centre de ces festivités. Les plantes concernées représentent un condensé des produits de base de la vie des tribus nomades de l’Orient, avec le palmier nourricier (phoenix dactylifera), le cédrat aux vertus médicinales (citrus medica), le myrte (myrtus comunis), parfum et donc monnaie d’échange et enfin le saule (salix), indispensable à la vannerie c’est à dire au transport des marchandises.
Le bouquet rituel. Les plantes qui composent le bouquet rituel font l’objet de prescriptions très strictes. En ce qui concerne la production des palmes (loulavim), elle suppose l’emploi exclusif de palmes de la variété dactylifera. Le cédrat (etrog) doit répondre à des critères morphologiques précis visant à s’assurer qu’il n’est pas hybridé avec d’autres espèces d’agrumes. Les deux dernières plantes du bouquet rituel, les rameaux de saule (hassidim) et le myrte (aravot) font elles aussi l’objet de prescriptions rituelles. Elles sont d’ordre exclusivement morphologique pour le saule. Il en va de même pour le myrte qui faisait parfois pour cela l’objet d’une technique de culture sur brûlis. Pendant les prières et les offices de la semaine des Cabanes, on présente ces plantes (regroupées dans un étui en palmes tressées) vers les quatre points cardinaux, la terre et le ciel. On les processionne aussi autour de l’autel de la synagogue. Une dernière procession vient clore ces fêtes, avec les cérémonies de Hosha’ana Rabba. En cette occasion, l’autel est parfois décoré de deux piliers faits de branches de saule, et nettoyé cérémoniellement avec des rameaux de ce même arbre, ou au moyen de palmes, qui trouvent là un dernier emploi rituel.

Illustration: Picart Bernard Antoine Auguste. Bruzen de La Martinière – 1721. Repas de Juifs pendant la Fête des Tentes
Les cabanes. La fête juive de Soukkhot s’apparente à des coutumes agro-pastorales dont la cabane au toit de palmes, la soukka, offre une illustration emblématique. La construction des cabanes obéit à des règles assez rigoureuses. Représentant l’abri traditionnel des bergers, elle doit ainsi être édifiée en plein air, balcon, jardin, cour ou terrasse. Le toit est l’objet du plus grand soin, car soumis à des exigences rituelles. Il doit à la fois donner de l’ombre, mais aussi laisser voir les étoiles et passer la pluie. Il est généralement fait de palmes. D’autres végétaux sont pourtant admis, mais il semble bien que le palmier, l’arbre emblématique de la Terre Sainte, jouisse d’une faveur particulière. Abri provisoire, la cabane doit aussi être un lieu agréable, convivial et confortable, où l’on va se réunir durant toute la semaine à l’heure du repas. Il arrive aussi qu’on y dorme, dans l’esprit de la tradition, car cette coutume passe pour la commémoration de l’exode qui chassa les juifs d’Égypte. La cabane est souvent décorée de végétaux ou d’images.
En savoir plus. PARSONS John 2011. The festival of Sukkot, the feast of the Tabernacles. In: from Hebrew for Christian. Link

Illustration. Cabane à Cannes en 2025